Le marché des sneakers repose sur deux prix distincts : le tarif retail fixé par la marque et le prix resell du marché secondaire.
Le clivage entre prix initial et marché secondaire
Dans l’univers des sneakers, deux notions cohabitent sans jamais se confondre : le prix de vente initial, ou « retail », et le prix sur le marché secondaire, appelé « resell ». Ce clivage structure tout le marché des sneakers, de la fabrication au consommateur final. Comprendre cette dualité est essentiel pour quiconque s’intéresse à l’économie des sneakers, qu’il soit collectionneur, investisseur ou acheteur occasionnel.
Le prix retail correspond au tarif officiel conseillé par la marque lors de la sortie d’une paire. Il est défini selon des critères classiques : coûts de production, positionnement, marges attendues, et volume prévu. En moyenne, une paire de sneakers grand public coûte entre 90 et 160 euros, selon le modèle et la marque (Nike, adidas, New Balance, etc.). Pour des modèles plus techniques ou en collaboration, les prix peuvent atteindre 250 à 300 euros.
Mais cette tarification officielle n’est souvent qu’un point de départ. Le marché secondaire fonctionne selon d’autres logiques : rareté, spéculation, désirabilité, notoriété du modèle ou du designer impliqué. Des paires comme la Nike Dunk Low SB Travis Scott ont vu leur valeur grimper à 1 200 euros, contre un prix retail de 110 euros. Ce phénomène transforme des objets de consommation en instruments de placement.
Dans cet article, nous allons analyser la mécanique économique qui sous-tend cette différence, ses causes concrètes, ses conséquences sur l’ensemble de la chaîne, et les enjeux pour les marques comme pour les consommateurs.
Le prix retail : une stratégie de marché maîtrisée
Un tarif fixé en amont par la marque
Le prix retail est décidé avant toute mise sur le marché. Il résulte d’une stratégie globale intégrant plusieurs paramètres : coût unitaire de production, logistique, frais de distribution, marge distributeur, et positionnement commercial. Une paire standard comme la Air Force 1 est aujourd’hui vendue autour de 120 euros, alors que son coût de fabrication unitaire peut être inférieur à 20 euros, selon les volumes et les lieux de production (principalement au Vietnam, en Indonésie ou en Chine).
Les marques utilisent ce prix pour gérer leur image. Certaines, comme New Balance, s’alignent sur une fabrication en partie locale (par exemple à Flimby, au Royaume-Uni), ce qui justifie des tarifs retail plus élevés, autour de 180 à 220 euros pour les modèles Made in UK. D’autres, comme Yeezy à son apogée, pratiquaient une tarification de 220 euros pour les 350 V2, tout en limitant la disponibilité.
Un levier de rareté contrôlée
Les marques savent que la rareté fait vendre. Elles ajustent volontairement les volumes mis en circulation afin de préserver un déséquilibre entre offre et demande. L’effet est immédiat : les stocks se vident, et la revente commence. Ce phénomène n’est pas accidentel. Il s’inscrit dans une logique de marketing contrôlé, destiné à maintenir l’excitation et à entretenir l’idée de valeur potentielle.
Par exemple, la Nike Air Jordan 1 Chicago Lost and Found, sortie à un prix retail de 180 euros, était produite à grande échelle. Pourtant, malgré son volume important, sa demande massive l’a conduite à s’échanger entre 300 et 500 euros sur les principales plateformes de revente.
Ainsi, le prix retail n’est pas une valeur économique neutre. C’est un signal, un déclencheur d’intérêt et un point d’ancrage pour la spéculation à venir.
Le prix sur le marché secondaire : une logique de spéculation
Un marché dérégulé
Le prix sur le marché secondaire des sneakers obéit à une logique totalement différente : celle de l’offre et de la demande brute. Les plateformes comme StockX, GOAT, Klekt ou Wethenew ont structuré ce marché en y injectant des outils de suivi de prix, des historiques de ventes et des authentifications centralisées.
Sur ces plateformes, le prix n’est plus contrôlé par la marque. Il est défini par l’acheteur le plus motivé et le vendeur le plus opportuniste. La Nike SB Dunk Low Paris, jamais sortie officiellement en Europe, a dépassé les 30 000 euros à la revente. À l’inverse, une paire très attendue mais finalement peu convoitée peut perdre de la valeur. Certaines Yeezy 380, mises en vente à 230 euros, se retrouvent aujourd’hui proposées à moins de 150 euros.
Ce fonctionnement crée un écart croissant entre prix retail et prix resell, parfois dans des proportions de 1 à 10, voire au-delà pour les modèles ultra rares.
Des profils variés d’acheteurs
Le marché secondaire attire plusieurs types d’acheteurs :
- Les collectionneurs paient le prix fort pour acquérir une paire manquante.
- Les spéculateurs achètent en masse au retail, avec l’objectif de revente rapide.
- Les amateurs consentent à payer un surcoût modéré s’ils ont manqué le lancement initial.
Ces dynamiques entretiennent la surévaluation de certains modèles. Les plateformes les plus structurées en profitent : StockX a vu ses volumes croître de 80 % entre 2020 et 2022, avec des marges prélevées à chaque transaction, généralement entre 9 et 13 %.
Les conséquences sur le marché et les marques
Une économie parallèle en expansion
Le marché secondaire des sneakers représente aujourd’hui plusieurs milliards d’euros. En 2024, selon Cowen Equity Research, il pesait plus de 8 milliards d’euros, et pourrait atteindre 25 milliards d’ici 2030. Cette croissance rapide repose sur la structuration du secteur, la numérisation des échanges, et l’entrée d’acteurs financiers.
Pour les marques, cela constitue une perte de valeur captée. Elles ne bénéficient d’aucune marge sur les ventes resell, alors que leurs produits s’échangent à des prix bien plus élevés. Certaines tentent donc de récupérer une part du gâteau, à l’image de Nike qui, via SNKRS, multiplie les éditions spéciales et limite les volumes pour conserver l’intérêt du public.
Une pression sur les acheteurs finaux
Pour les consommateurs, cette structuration a des effets directs. Les prix réels deviennent difficilement prévisibles. L’achat d’une paire à sa sortie relève souvent du tirage au sort via une raffle, et l’alternative devient l’achat resell, à un tarif souvent doublé ou triplé. Cela rend certaines paires inaccessibles au public général, et crée une fracture entre sneakers populaires et sneakers de spéculation.
De plus, cette dynamique pousse certains revendeurs à manipuler le marché : bot automatisés, achat massif, créations de tensions artificielles. Cela nuit à la crédibilité du système et alimente une défiance croissante.
Une remise en question du modèle par les consommateurs
Un retour à l’usage ?
Une partie du public se détourne de cette logique spéculative. Des acheteurs refusent désormais de participer à des raffles sans garantie, ou de payer plusieurs centaines d’euros une paire dont la valeur intrinsèque reste équivalente à celle d’un produit à 120 euros. Des plateformes comme Vinted ou eBay, plus orientées vers la seconde main, regagnent en popularité, avec des prix plus réalistes.
Certaines marques l’ont compris. Salomon, ASICS ou Mizuno ont gagné du terrain grâce à une stratégie produit fondée sur la performance, la durabilité et un rapport qualité-prix stable. Elles s’adressent à des consommateurs fatigués par la flambée des prix sur le marché secondaire.
Vers un encadrement du marché secondaire ?
Des réflexions émergent autour de la régulation du resell, notamment en France et en Allemagne. On envisage des plafonds de revente ou des obligations de transparence sur les marges réalisées. D’autres évoquent un modèle de royalties sur les reventes, déjà appliqué dans le marché NFT, que les marques pourraient expérimenter dans l’univers physique.
Mais ces initiatives restent limitées. Pour l’instant, le marché secondaire des sneakers continue de prospérer sur un déséquilibre assumé entre la rareté fabriquée et la demande amplifiée.
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