La sneaker-mocassin s’impose en 2025 comme tendance hybride, mêlant confort sportif et références habillées. Un pari assumé par New Balance et Aimé Leon Dore.
Une hybridation née de la rue, légitimée par les podiums
La sneaker-mocassin s’est installée en 2025 comme un segment atypique mais structurant dans l’univers de la chaussure. Ce modèle hybride associe une semelle typée running ou lifestyle à une tige issue du vestiaire habillé — cousu mocassin, cuir grainé ou nubuck, parfois même ornementé de pampilles ou d’un plateau cousu main. Cette proposition, longtemps perçue comme une curiosité, a été validée par des acteurs majeurs de la mode masculine et du streetwear.
Le basculement est intervenu lors du défilé automne-hiver 2025 de Junya Watanabe, où plusieurs silhouettes ont intégré des souliers mi-sneaker, mi-mocassin. Cette apparition a déclenché un regain d’intérêt médiatique pour une tendance déjà présente dans les collections de Aimé Leon Dore, New Balance ou encore Converse avec sa gamme Weapon CX Loafer.
L’origine de cette approche est plus fonctionnelle qu’esthétique. Il s’agit de répondre à une demande croissante pour des chaussures polyvalentes, capables d’être portées dans un environnement informel sans abandonner certains codes formels. En clair, proposer une alternative crédible à la derby ou au mocassin classique, sans renoncer à l’amorti, à la respirabilité et à la flexibilité d’une sneaker.
Ce positionnement hybride reflète aussi l’évolution du vestiaire masculin. Les bureaux tolèrent les pantalons en toile, les chemises sans col rigide, et désormais les chaussures sans talon de cuir dur. La sneaker-mocassin s’impose comme une réponse industrielle à cette zone grise entre formel et décontracté, bien réelle sur le terrain mais encore peu représentée dans l’offre standardisée.
Un segment soutenu par les marques américaines et japonaises
Le développement du segment sneaker hybride repose sur une coalition hétérogène d’acteurs. D’un côté, des marques nées dans le sport et désireuses de capter un marché plus mature. De l’autre, des labels de mode indépendants qui injectent leurs références culturelles dans la chaussure.
New Balance, par exemple, a largement investi ce segment via des collaborations répétées avec Aimé Leon Dore. Leur modèle 990 ALD Loafer, vendu autour de 210 euros, reprend la semelle d’une running emblématique, surmontée d’un plateau en cuir inspiré des Penny Loafers américains. Le succès a été immédiat : les deux premières éditions se sont vendues en quelques heures et les paires atteignent aujourd’hui jusqu’à 450 euros sur le marché secondaire.
Hoka, spécialiste du trail et de la performance, a lancé plusieurs prototypes mêlant empeignes tissées et semelles oversize avec un motif mocassin cousu en façade. Ces modèles, initialement destinés aux fashion weeks asiatiques, intègrent désormais les gammes lifestyle. Le Hoka Transport Moc Hybrid, vendu à 160 euros, en est l’exemple le plus visible.
Le Japon n’est pas en retrait. Outre Junya Watanabe, des marques comme Suicoke, Needles ou Visvim expérimentent des formes proches de la sneaker-mocassin, souvent avec une approche artisanale plus poussée. Le design reste plus radical, mais il influence les grandes marques occidentales qui l’adaptent à un marché plus large.
Ce segment reste encore marginal en termes de volumes, mais il bénéficie d’un taux d’adoption élevé chez les influenceurs et les prescripteurs de tendances. Les retailers multimarques (End Clothing, SSENSE, Bodega) commencent à segmenter ces modèles dans des catégories à part, signe d’une reconnaissance structurelle.

Une réponse concrète aux mutations du marché du footwear
La sneaker-mocassin répond à une série de contraintes économiques et culturelles bien identifiées par les acteurs du secteur. Premièrement, le ralentissement des ventes sur le segment classique du sneaker pur-performance incite les marques à se diversifier. Deuxièmement, l’évolution des usages vestimentaires chez les 30-50 ans crée un vide que peu de marques comblent de manière convaincante.
Le confort reste au centre de la proposition. Les semelles de type EVA ou Vibram, les doublures respirantes, et les technologies d’amorti type FuelCell ou CloudTec assurent une expérience proche des sneakers running. Mais l’esthétique, elle, est plus proche des mocassins ou des penny loafers traditionnels. Ce contraste permet une adaptabilité large, du jean brut au pantalon en laine froide, ce qui facilite l’intégration dans des dress codes flexibles.
Les prix s’étendent de 130 à 300 euros selon les matériaux, la complexité de construction et les circuits de distribution. Ce positionnement place la sneaker-mocassin au-dessus des modèles lifestyle classiques, mais en dessous du vrai soulier haut de gamme. Elle constitue donc une porte d’entrée stratégique vers la premiumisation, sans nécessiter l’acquisition d’un savoir-faire cuir aussi complexe qu’une Oxford cousue Goodyear.
La tendance séduit aussi les marchés asiatiques, notamment en Corée du Sud et au Japon, où la recherche d’originalité discrète est centrale. Les volumes y restent faibles, mais les marges sont plus élevées grâce aux circuits de distribution sélectifs.
Le défi reste industriel. L’assemblage d’une semelle running avec une tige en cuir cousu impose des contraintes de production spécifiques. Certaines marques externalisent ces phases en Italie ou au Portugal, faute d’outil adapté dans leurs usines historiques.
Une tendance encore controversée, mais installée dans la durée
La sneaker-mocassin divise les consommateurs et les analystes. Certains y voient une dilution des codes stylistiques, une tentative marketing pour créer un segment artificiel. D’autres saluent une réponse logique à la réalité du marché : des hommes qui veulent s’habiller autrement mais refusent la contrainte vestimentaire.
Les critiques portent souvent sur l’esthétique. Certains modèles souffrent d’un manque de cohérence entre la tige et la semelle, donnant une impression de bricolage visuel. D’autres sont accusés de copier des formes existantes sans réelle innovation. Mais ces remarques n’ont pas freiné l’intérêt du public, ni celui des distributeurs.
Le point fort de la sneaker-mocassin est sa capacité à occuper un territoire délaissé : celui des chaussures habillées modernes mais confortables. Le succès des modèles New Balance x Aimé Leon Dore l’illustre : le design est sobre, la chaussure est portable au quotidien, et elle évite l’écueil du total look sport.
Le segment reste jeune, mais il s’inscrit dans une transformation profonde du marché de la chaussure masculine. Alors que les derbies s’effondrent en volume (-18 % en Europe entre 2020 et 2024), les modèles hybrides progressent. Plus de 13 % des chaussures dites “habillées” vendues en ligne en 2024 aux États-Unis intégraient une semelle de type sneaker, selon les données du cabinet NPD.
Enfin, la sneaker-mocassin offre aux marques une nouvelle plateforme d’expression. Elle permet des collaborations, des éditions limitées, et des variations régionales. Ce potentiel explique pourquoi elle est activement travaillée par les départements innovation de Nike, Reebok ou Timberland, malgré leur absence médiatique sur ce segment.